Inflation : le cygne noir que les marchés refusent de voir

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Alors que les anticipations d’inflation restent solidement ancrées autour de 2 %, une décision récente de la Réserve fédérale pourrait pourtant changer la donne.

Le 1er décembre 2025, la Réserve fédérale américaine a mis un terme à son programme de Quantitative Tightening, autorisant à nouveau la croissance de son bilan. Officiellement, il s’agit d’un ajustement technique destiné à prévenir toute pénurie de réserves bancaires. Mais le timing interroge. Comme le souligne Ray Dalio, fondateur de Bridgewater Associates, recréer des réserves alors que les valorisations sont élevées, les spreads de crédit historiquement bas et le chômage limité à 4,3 % n’est pas un schéma habituel en fin de cycle économique 
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Pour comprendre pourquoi cette décision pourrait avoir des conséquences différentes de celles observées après la crise financière de 2008, il faut revenir sur les transformations profondes du système monétaire intervenues à cette époque. Avant 2008, la transmission monétaire était directe : faibles contraintes de liquidité, absence de rémunération des réserves et exigences limitées en fonds propres favorisaient une circulation rapide de la monnaie vers l’économie réelle.
 

Après la crise, tout a changé. Le Quantitative Easing a fait passer les réserves bancaires de quelques dizaines de milliards à près de 3 000 milliards de dollars, sans que cette liquidité n’alimente réellement le crédit. Trois verrous ont progressivement bloqué la mécanique. 

 

D’abord, l’introduction de ratios de liquidité très stricts, multipliant par trois à cinq les besoins en actifs liquides des banques. Ensuite, la rémunération des réserves bancaires par la Fed, incitant les établissements à conserver leurs liquidités plutôt qu’à prêter. Enfin, le renforcement durable des exigences en fonds propres, rendant le capital plus rare et plus coûteux.
 

Résultat : malgré plus de 8 000 milliards de dollars ajoutés au bilan de la Fed depuis 2008, la vélocité de la monnaie s’est effondrée pour atteindre environ 1,12, un plus bas historique, expliquant l’absence durable de pressions inflationnistes.
 

Le risque d’un déverrouillage simultané
Le risque identifié aujourd’hui ne tient pas à un seul facteur, mais à la possible remise en cause simultanée de ces trois verrous. En stoppant le QT en haut de cycle, la Fed cesse d’agir comme un frein et pourrait devenir un accélérateur. Dans le même temps, les pressions se multiplient pour assouplir les contraintes réglementaires pesant sur les banques, réduire les exigences de fonds propres et accélérer la baisse des taux directeurs.
 

Selon Laurent Chaudeurge, un tel mouvement pourrait libérer entre 1 500 et 2 000 milliards de dollars de capacité de prêts supplémentaires. Il suffirait qu’une partie de cette enveloppe se transforme en crédits bancaires pour relancer rapidement la croissance de la monnaie en circulation. En combinant une hausse de cette dernière de 8 à 12 %, rythme déjà observé en 2020–2021, avec une remontée modérée de la vélocité vers 1,30–1,35, la progression du PIB nominal pourrait mécaniquement atteindre 6 à 8 %.
 

Dans un scénario où la croissance réelle resterait proche de 2 %, l’inflation sous-jacente s’établirait alors naturellement entre 4 et 6 %, bien au-delà des anticipations actuelles des marchés, toujours ancrées autour de 2,2 à 2,4 % pour 2027–2028.
 

C’est précisément ce décalage qui fait de l’inflation le véritable « cygne noir » du cycle à venir. Non pas un risque invisible, mais une hypothèse que les investisseurs ont cessé de questionner, convaincus que l’architecture monétaire post-2008 est intangible. Or, rappelle Laurent Chaudeurge, elle ne l’est pas. Et la décision de la Fed pourrait bien en être le premier signal.